Carnet intime, une journée en montagne avec Emmanuel Renaut !

Emmanuel Renaut | Flocons de Sel

 

Le matin se lève à peine, la nuit n’a pas encore complètement cédé sa place au jour. L’automne est frais cette année encore, il me semble apercevoir par la fenêtre le voile blanc des premières gelées. Dehors tout est calme, la nature elle aussi peine à se réveiller. Opale, ma petite teckel, est aux abois impatiente d’attraper les premiers rayons du soleil. C’est toujours ensemble que nous partons en montagne, chaque matin, chaque saison, toute l’année. Dans la solitude salvatrice de l’aube, je trouve mon énergie en volant un moment à la journée avant l’ébullition du service. En fait je crois que la montagne est un besoin ancré en moi depuis toujours, en tout cas d’aussi longtemps que je me souvienne. Le silence m’assourdit, c’est sans doute le meilleur catalyseur de mes pensées.

 

Flocons de Sel | Emmanuel Renaut

Je relève mon col et m’engouffre dehors, le 4×4 ronronne. Aujourd’hui c’est au col du Tricot que nous partons. Demain, nous irons au Dôme de Miageou peut-être au Mont Joli, le pays du Mont-Blanc a tant à offrir. J’arrive avec le lever du jour. La lumière encore sépia des matins d’automne embrumés a quelque chose de magique. On dirait presque un arrêt sur image, un instant suspendu avant que le soleil lui rende vie. Je saisis mon panier, mon opinel, mes jumelles, mon bâton de ski et lance mes premières foulées. En quelques pas, la rosée a déjà mouillé mes chaussures, et la fraîcheur mordu gentiment mon visage. Alors que la brume se lève, je pénètre dans la forêt. Sous mes pas, les feuilles humides mises au sol par la saison crissent à peine. Mais c’est surtout l’odeur de l’humus qui saisit mes narines. Ça sent le bois et la terre mouillés et j’imagine toute la vie qui se cache ici. J’aime ces passages à couvert, protégé par les arbres. C’est ici qu’il me faut être à l’affût des champignons. Je sais qu’à quelques centimètres près ils poussent toujours au même endroit, l’expérience m’en a donné la connaissance. Et au pire, même si je n’en trouve pas, j’aurais fait une belle balade ! J’aperçois au loin des cèpes, le chapeau mat nacré d’un joli brun oranger. Les cèpes de montagne, il n’y a pas mieux, parole de cuisinier. Devant mon panier plein de champignons, je suis comme un gosse dans un magasin de bonbons. J’adore ça.

 

Flocons de Sel | Emmanuel Renaut

Au fur et à mesure de mon ascension je croise des framboises, de la menthe, du carvi et de la reine des prés. Je ne reviendrai pas les mains vides. La mer de nuages a recouvert la vallée, le Mont-Blanc en jaillit de toute sa masse, transperçant le coton des cumulus pour rencontrer le soleil. Ça mérite bien une petite photo. Opale qui était intenable au début, marche maintenant à mes côtés. J’ai l’impression qu’elle aussi la montagne l’apaise. Mon instinct, ou bien le sien, nous alerte sur la présence de chamois. Je connais ce coin, c’est souvent que je les vois paître ici aux premières heures du jour. Doucement, dans le sens inverse du vent, je me poste pour les observer au plus près. Dans mes jumelles, je vois leur quiétude, sereins dans ce bout de nature encore préservé. Il en faut peu pour être heureux. Mais déjà il faut rentrer, l’heure, elle, ne s’est pas arrêtée de tourner. Je redescends aussi prestement que je suis monté pour rejoindre ma brigade, un panier plein de trésors que nous préparerons sans tarder. Demain je trouverai peut-être des bolets ou des chanterelles. En attendant, en cuisine.